Troisième et dernière partie de la série consacrée au projet de l’Arabie Saoudite pour conquérir le monde du football. Un projet sportif mais avec un volet géopolitique assez important. Pour ce dernier chapitre, on s’intéresse à la stratégie pour le développement du football à la base en Arabie Saoudite.
L’attention est de plus en portée sur l’Arabie Saoudite avec l’arrivée des nombreuses vedettes. Le recrutement par le passé de joueurs de bons niveau en Europe a permis au championnat d’Arabie Saoudite d’avoir un niveau acceptable. Cependant, un facteur fait que certains observateurs sont toujours sceptiques. Pour que la révolution saoudienne fonctionne pour de vrai, il faut que des footballeurs saoudiens de souche émergent, que la sélection saoudienne brille si le pays accueille la Coupe du Monde d’ici là. Et à priori, recruter des stars étrangères en masse n’est pas censé permettre cela. Pourtant, ça fait partie des éléments qui vont conduire à l’atteinte de cet objectif ultime.
Un pays de football
Lorsque les gens font la comparaison avec la Chine, c’est un détail qu’ils oublient. Si le projet de la Chine est tombé à l’eau, c’est en grande partie à cause du fait que le gouvernement a voulu mettre en avant coûte que coûte un sport qui n’est pas le plus aimé dans le pays. En Arabie Saoudite par contre, le football est le sport roi. La population y accorde une grande importance et les gens vont beaucoup au stade. Pour preuve, l’affluence moyenne dans les stades pour cette saison de Saudi Pro League est de 10.197 spectateurs présents. Rien d’incroyable à priori, surtout comparé aux affluences en Europe. La Ligue 1 française par exemple a fait cette saison 23.000 spectateurs en moyenne et est loin d’être la meilleure en Europe. Cependant, lorsqu’on compare à la Chine, les Saoudiens font mieux. La Chinese Super League a fait en moyenne 9.831. Pourtant, la Chine a des stades beaucoup plus grands que ceux des Saoudiens, du fait de sa démographie largement supérieure. Tous les stades (des clubs du championnat) chinois réunies ont une capacité totale de 696.324 places, soit près du double de l’Arabie Saoudite qui fait 388.944 places.
Ce qui veut dire que la Chine a beaucoup plus d’habitants et des stades beaucoup plus grands, mais n’arrivent pas à les remplir. Preuve du peu d’intérêt du public chinois, tout le contraire de l’Arabie Saoudite. L’ambiance dans les stades saoudiens est aussi très chaude et il existe plusieurs rivalités et donc, des derbys. La rivalité la plus connue est celle entre le Al Nassr et Al-Hilal. Un autre détail qu’on a aussi tendance à oublier, c’est que l’Arabie Saoudite est une grande nation de football en Asie. Trois Coupes d’Asie remportées, mais aussi trois participations à la Coupe du Monde même si le bilan n’est pas glorieux. Mais ce qui est intéressant à souligner, c’est qu’ils sont présents sur les deux dernières éditions avec une prestation remarquée au dernier mondial. Ce qui montre une nouvelle fois qu’il y a un travail qui est fait depuis un moment, et la ruée sur le marché des transferts n’est qu’une nouvelle étape du projet. Tous ces éléments sont importants à rappeler pour montrer qu’à la différence de la Chine, l’Arabie Saoudite est un pays plus approprié pour mener une politique sportive dans le domaine du football.
Un environnement plus favorable
Le premier pilier lorsqu’on veut mener une politique sportive à bien, c’est la formation à la base. Une chose comprise par la Chine en son temps. Un grand centre de formation avait été créé pour former les jeunes qui souhaitaient devenir footballeur. Mais le gouvernement chinois avait commis une erreur. La formation était payante. Les coûts que cela impliquait pour les récipiendaires étaient beaucoup trop élevés. Le Chinois moyen ne pouvait donc pas se permettre d’y envoyer son enfant. Ce qui fait que ce n’était que des “gosses de riches” qui y étaient inscrits. D’un côté, les parents aisés y inscrivent leurs enfants un peu comme on peut les inscrire aux cours de piano. Autrement dit, sans réelles ambitions ou plan de carrière. De l’autre, il ne s’agit pas forcément des enfants les plus talentueux du pays. Comme au Brésil ou dans les pays d’Afrique, les plus doués se trouvent dans les quartiers populaires, les “Favelas”… Se faire former était donc en quelque sortes un luxe.
Une erreur que l’Arabie Saoudite ne devrait pas faire puisqu’elle a vu le résultat avec la Chine. Comme souligné plus haut, le football n’est pas le sport le plus populaire en Chine. Donc, il y a moins de chances de trouver des jeunes passionnés par le football. Alors que plus il y a d’enfants passionnés par le football, plus il y a de chances de trouver parmi eux certains qui sont vraiment talentueux. Et c’est à ce moment que la formation pourra réellement porter ses fruits. C’est là aussi l’intérêt de faire venir de grandes stars. Ces enfants ont besoin de s’identifier à des modèles. Chose qu’il n’y a pas encore en Arabie Saoudite. C’est aussi une superbe occasion pour les joueurs saoudiens actuels. Être en contact avec ces joueurs, apprendre d’eux, leur professionnalisme et leur exigence. Il faut aussi dire qu’il n’y a pas que des joueurs étrangers qui viennent, mais aussi des entraîneurs. Il y a eu Rudi Garcia à Al Nassr. Nuno Espirito Santo, qui a entraîné Tottenham et Wolverhampton, est l’actuel coach de Al-Ittihad. Ce qui signifie un éventuel transfert de compétences entre les techniciens locaux et internationaux.
Sur les prochaines années, le nombre d’étrangers par club devrait être limité une fois que les talents locaux auront commencé à émerger. Le but, leur donner plus de chances d’éclore et de briller. La Chine a aussi pensé à tout ça. Mais quelques erreurs et un grand manque de culture foot ont conduit à l’échec du projet. Il faut aussi parler de la corruption omniprésente, les matchs truqués qui gangrènent le football asiatique en général. Le coup de grâce aura été l’avènement de la COVID-19. L’Arabie Saoudite semble avoir appris des erreurs de son prédécesseur pour le moment. C’est pour toutes ces raisons que la révolution saoudienne a de bonnes chances de fonctionner.